Comment ne pas se laisser ringardiser par le storytelling

Le storytelling consiste à utiliser des histoires à des fins de communication, particulièrement dans les domaines du marketing ou de la politique.

De fait, les histoires sont redoutablement efficaces pour :

  1. Capter l’attention
  2. Exprimer simplement des idées abstraites
  3. Fixer ces idées dans la mémoire
  4. Les partager facilement.

Il n’y a rien là de bien nouveau, à vrai dire. Les histoires sont omniprésentes, de la Bible à la publicité en passant par le récit historique national, les contes de fées ou les sagas romanesques dans lesquelles des générations entières se reconnaissent : on n’imagine pas comment on pourrait s’en passer.

Leur apparition se perd dans la nuit des temps, au point que, selon l’historien Yuval Noah Harari, auteur de Sapiens, Une brève histoire de l’humanité, c’est la capacité d’Homo Sapiens (nous) à la fiction, et non des facteurs biologiques, qui explique son extraordinaire expansion en tant qu’espèce.

Pourquoi alors cette appellation de storytelling, comme un label made in USA apposé sur une pratique millénaire et universelle ?

Peut-être parce que les Américains sont passés maîtres dans l’utilisation de techniques narratives appliquées au marketing, et dans ces fameux discours commençant par la formule magique Let me first tell you a story.

Inversement, la pratique est tellement peu française que le directeur général de Danone, Emmanuel Faber, faisait récemment le buzz pour l’avoir utilisée de ce côté-ci de l’Atlantique, lors d’une remise de diplômes à HEC qui n’est pas passée inaperçue (800 000 vues sur YouTube).

Cela veut-il dire qu’il faille désormais transformer toute communication en récit distrayant, émouvant, emphatique, identitaire… ?

C’est le moment d’en venir à une dimension bien plus intéressante du storytelling, une dimension que la définition classique fournie au début de cet article n’évoque pas.

Je veux parler de la différence essentielle entre le storytelling comme technique (la boîte à outils des techniques narratives) et le storytelling comme stratégie.

Parmi d’autres experts du sujet, Bernadette Jiwa (thestoryoftelling.com) parle de story driven business. Elle veut dire que le moteur de l’entreprise, c’est justement son histoire. Unique, originale, partagée entre ses employés et avec ses clients. C’est cette histoire qui la fait avancer, c’est cette histoire qui inspire sa communication. Encore faut-il la (re)connaître pour la faire prospérer. Dans un article de 2013, John Hagel tenait déjà des propos similaires.

Autrement dit :

1) Vous pouvez raconter toutes les histoires que vous voulez, si elles ne sont pas inspirées par un vécu authentique, vous serez difficilement crédible.

2) Il ne s’agit pas de dire que toute communication doive prendre la forme d’une histoire, avec un début, un milieu et une fin, mais de faire en sorte que ce qu’on raconte soit cohérent avec la « grande histoire ».

Si le storytelling est appelé à se développer autant que les experts le disent, et je ne vois aucune raison d’en douter, ce sera donc sur ses deux jambes : stratégie de communication globale et techniques narratives.

Ce qui paraît à peu près certain, c’est que le développement du storytelling ringardisera définitivement les textes indigestes.

Le contraire d’un texte indigeste est un texte qui « se lit comme un roman », autrement dit comme une histoire. Bonne nouvelle pour vous qui devez rendre une note de synthèse sur un sujet pas franchement grand public, une bonne histoire n’est pas forcément simple.

Elle est même souvent complexe, pleine de personnages, de rebondissements, de voyages dans le temps. Qu’importe, le lecteur est tenu par la main. La narration le guide pas à pas dans les méandres de l’intrigue (« ça se lit comme un roman »). Passées les premières pages de familiarisation avec les personnages ou les lieux, la « bonne » histoire captive le lecteur.

Pour cela, il ne faut pas que la complexité, pour ne pas dire l’obscurité, de la langue lui demande trop d’effort.

Êtes-vous Stieg Larson, JK Rowling ou Fred Vargas ? Sauriez-vous créer des personnages aussi captivants que ceux de Salander, Dumbledore ou Adamsberg ?

Moi non plus !

Peu importe car, comme le montre l’exemple ci-dessous, être facile à lire est à la portée de quiconque parle un français correct et veut bien s’en donner la peine.

N’écrivez pas :
Nous sommes en capacité de pouvoir bientôt adresser la totalité des demandes en moins de 48h.

Écrivez :
Tous nos agents auront bientôt été formés pour envoyer un technicien sur place dans les 48 h suivant la demande.

Facile à lire ne veut pas dire plat, mais concret, direct et précis sans excès. Et grammaticalement irréprochable, afin d’éviter toute ambiguïté. Idéalement, la phrase parle à l’imagination du lecteur, qui se représente alors une action.

Plus d’exemples à venir dans un prochain article.


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