Oral et écrit, même combat

Quand j’assiste à une présentation orale, je ne peux pas m’empêcher d’imaginer la version écrite de cette communication. Parce que les maladresses des intervenants sont souvent les mêmes que celles qui rendent les textes illisibles.

Blois, Rendez-vous de l’Histoire,  vendredi 7 octobre 2016.
Un homme et une femme, tous deux éminents historiens, s’apprêtent à tenir une conférence sur le « Redécoupage des frontières entre 1918 et 1925 » devant un public constitué d’amateurs d’histoire plus ou moins éclairés.

La dame se présente comme une spécialiste de l’Europe centrale, enchaîne en disant que la densité du sujet impose de commencer à l’heure (ça tombe bien, on est là) puis, sans introduire le sujet, se lance dans un exposé descriptif à partir de cartes illisibles piochées ici ou là. On a l’impression de ne rien apprendre qu’on ne savait déjà car les détails apportés ne nous intéressent pas. Il faudra une question du public, dans les 3 dernières minutes, pour introduire un peu de problématique dans le débat.

Le monsieur est plus divertissant car, s’il lit son texte, au moins y a-t-il mis un peu d’esprit. Il regarde sa montre toutes les 2 minutes pour voir s’il est dans les temps. Le souffle est bien maîtrisé malgré le débit rapide. L’homme a du coffre. Dans le public, on s’efforce de trouver un rapport entre cet exposé savant, bizarrement consacré à…  la carte d’identité des étrangers en 1917, et le thème de la conférence. De ne pas rire impoliment devant les scans de circulaires ministérielles  illisibles affichées, à grand peine, à l’écran.

Ouf, c’est fini ! Tout le monde est content. Le public de pouvoir s’échapper, les intervenants de leur prestation. Oui car, comme le dit la dame ravie, tout s’est bien passé puisque, nonobstant les problèmes techniques (d’ordinateur) et la densité du sujet, ils ont tenu le délai.

Je quitte la salle en listant mentalement les manquements de cette fine équipe à la plus élémentaire politesse (mais oui) de qui se prétend conférencier.

  • Nos historiens se moquent totalement du public auquel ils s’adressent.
  • Ils ne traitent pas le sujet annoncé, soit par paresse (la dame), soit par fantaisie (le monsieur, manifestement raccroché en dernière minute) : il leur paraît plus simple de livrer ce qu’ils ont de tout prêt en magasin.
  • Leurs visuels sont nuls. Ils ne sont pas faits pour clarifier les choses mais pour montrer dans quelles hautes sphères du savoir ils évoluent.
  • Ils essaient d’en dire le plus possible dans le temps imparti, ce qui ne rend pas l’exposé plus intéressant, mais plus indigeste.
  • Ils n’annoncent pas ce qu’ils veulent démontrer : comment espèrent-ils être écoutés ?

Ça ne vous rappelle rien ? 

Le sujet mal posé, la page remplie à ras-bord, les tartines de copié-collé, le jargon incompréhensible, les images pour faire joli ou montrer qu’on a travaillé, la satisfaction d’avoir bouclé un rapport de 83 pages…

Soit le lecteur peut s’échapper, et il est déjà loin, soit il est obligé de lire et il se trouve à peu près dans la même situation que vous devant un exposé pénible. Avec l’envie grandissante de passer à autre chose.

L’écrit n’est pas ennuyeux par définition. Il y a de mauvais écrits comme il y a de mauvaises conférences. Souvent, la vanité de l’auteur, la facilité de production priment sur l’intérêt du lecteur, quand il n’est pas purement et simplement oublié. 


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